©Jean-Marie Poirier, 2005

Il appartiendra au comte de Laval suivant, Guy XVII, d'achever l'œuvre de son père. En 1541, Pour célèbrer sa majorité, son entrée à Laval en compagnie de son épouse Claude de Foix fut marquée par une pompe et une magnificence non pratiquée vers aucuns seigneurs de ces temps-là dont un chroniqueur local du siècle suivant nous a transmis le témoignage suivant : 

Trois chariots de triomphe sortirent de la ville, remplis de nimphes, représentées par des filles des meilleures maisons de la ville superbement vêtues, qui tenaient en main leurs instrumens musicaux. Elles étaient accompagnées de violons, de fifres et de flûtes qui jouaient des airs et des chansons bien harmonieusement.

Guy XVII (Musée Timken, USA) et Claude de Foix (Musée Condé de Chantilly) .

En 1546, paraissent chez Pierre Attaingnant, l'un des éditeurs parisiens de musique le plus réputé de cette époque, deux recueils de psaumes dont la page de titre nous fournit une information très intéressante – y compris l'orthographe, typiquement "Renaissance"... Il s'agit de psaumes traduits en français par Clément Marot et mis en musique par maistre Anthoine de Mornable, Maistre de la chappelle & valet de chambre de puissant seigneur Monseur le Conte de Laval .

Page de titre du Livre second de Mornable (Paris, Bibliothèque Nationale).

Ce musicien, négligé par le grand public, n'est pourtant pas un inconnu. Il s'agit d'un excellent compositeur dont malheureusement bien peu de détails biographiques nous sont parvenus. On sait seulement qu'il a reçu sa formation à Paris, à la Sainte-Chapelle, maîtrise prestigieuse, et à la fin de l'année 1530, les chanoines lui accordent une pension de 25 livres car il ne peut plus servir en icelle église parcequ'il est en mutation de voix . La mue de notre enfant de chœur adolescent, scrupuleusement consignée dans les registres de la vénérable institution nous permet donc de situer sa naissance vers 1515.

Lorsqu'on le retrouve au service du comte de Laval, dans les années 1540, il a atteint la maturité et sa carrière est déjà bien établie. De sa production musicale nous avons gardé des pièces de musique sacrée, motets, magnificats, psaumes etc. Avec la quarantaine de chansons profanes publiées dans diverses anthologies, nous avons l'image d'un musicien en parfaite possession de son art. La qualité de son écriture le rattache au grand courant polyphonique qui a donné à la chanson française de la Renaissance ses lettres de noblesse.

Concert vocal, anonyme 16e s., Bourges, Musée Lallemant

Si ses penchants probables pour le protestantisme ont sans doute contribué à le maintenir dans l'ombre, ils ne sont sûrement pas étrangers à sa position de Maistre de la chappelle & valet de chambre de puissant seigneur Monseur le Conte de Laval – deux statuts fréquemment associés pour les artistes évoluant dans l'entourage de la haute noblesse – . Les sympathies des Laval pour la cause réformée allaient s'afficher ouvertement dès la disparition de Guy XVII, entraînant alors la ville et ses seigneurs dans la tourmente des guerres de religion.

Antoine de Mornable est-il jamais venu à Laval ? Si malheureusement rien ne permet de l'affirmer avec certitude, sa situation professionnelle au service de Guy XVII peut, en toute logique, laisser penser qu'il a eu l'occasion de faire valoir ses talents jusque dans la ville de son maître. Comment ne pas imaginer les chansons de Mornable faisant résonner la galerie du Château-Neuf, ou ses motets et ses psaumes s'élevant sous les voûtes de la collégiale Saint-Tugal toute proche ?

Office funèbre, Livre d'Heures à l'usage de Rouen, fin du XVe siècle, Aix-en-Provence, Bibliothèque Municipale.

Sous le gouvernement de Guy XVII, Ambroise Paré fut un autre témoin inattendu de son goût pour la musique. En effet, en 1543, lors d'une expédition militaire en Bretagne contre les risques d'incursions anglaises, il rapporte avec sa verve habituelle :

...Monsieur de Laval, & autres gentilshommes, faisoit venir aux festes grande quantité de filles villageoises pour chanter des chansons en bas Breton, où leur harmonie estoit de coasser comme grenouilles lors qu'elles sont en amour. D'avantage leur faisoit danser le triory de Bretagne, & n'estoit pas sans bien remuer les pieds & fesses. Il les faisoit moult bon ouyr & voir.
Albrecht Dürer, Danse de paysans, 1514 ,Metropolitan Museum of Art, New York

Le triory dont il est fait ici mention était un branle, danse dont l’origine régionale ne fait aucun doute. Thoinot Arbeau, auteur d’un célèbre traité de danse paru en 1589, en parle en ces termes et en donne la mélodie : 

Plusieurs branles preignent denomination des pays esquelz on les praticque ordinairement : Les Poictevins dancent leurs branles de Poictou : Les Escossois les branles d'Escosse : Les Bretons, les branles qu'ils appellent le Triory, ou passe pied.
(…)
Ce branle est peu ou point pratiqué par deça : S'il vous advient quelque jour de le dancer ce sera par mesure binaire legiere, ainsi que ceste tabulature vous le monstre : Je l'ay aultresfois appris a dancer d'un jeune Breton, lequel demeuroit avec moy escollier à Poictiers
.

Le triory ne se danse pas en couples mais en groupe, comme le sous-entend le témoignage de Paré, et c’est le plus souvent l’affaire des jeunes gens qui en profitent pour faire étalage de leur agilité. C’est d’ailleurs le sens de l’allusion que l’on trouve dans un récit de Bonaventure des Périers, à propos d’ une riche maison de gentilhomme de Bretaigne, où il y avoit trois filz de bon age, et de belle taille, beaux danseurs de passepiedz et de trihoriz…

Sans doute la musique n'a-t-elle pas occupé une place de tout premier plan dans la vie mouvementée d'Ambroise Paré, mais quelques réflexions dans ses écrits montrent qu'il n'y était pas insensible. La musique est médicinale déclare-t-il dans son livre intitulé Introduction ou voye pour parvenir à la vraye cognoissance de la Chirurgie. Par ailleurs, sa fonction de chirurgien du roi et donc sa présence à la Cour, l'ont sans aucun doute amené à entendre beaucoup de cette musique dont les Valois étaient de si fervents amateurs.

Les origines populaires de Paré ne l'avaient probablement pas préparé à apprécier les raffinements de la musique de Cour, mais néanmoins, sa province natale, le Maine, était à cette époque réputée pour une certaine forme de musique populaire : les noëls et autres chansons sainctes . Si l'on en croit certains récits relatifs à l'enfance de Paré, celui-ci aurait été placé sous la tutelle d'un chapelain de Laval, auprès duquel il aura certainement eu l'occasion d'entendre certaines de ces chansons pieuses.

Jean-Marie Poirier a réalisé, en 2 volumes, l'édition de l'ensemble des 46 chansons profanes de Mornable pour Cornetto Verlag, Stuttgart (Allemagne) - http://tinyurl.com/akzsdqo