©Jean-Marie Poirier, 2005
L'époque qui a vu la publication des ouvrages de Jean Triguel est aussi celle des guerres de religion et de ses affrontements sanglants entre Catholiques et Protestants. La vogue des cantiques et noëls est d'ailleurs directement liée à l'effort déployé pour endiguer l'essor de la nouvelle religion. Le comte de Laval Guy XIX, apparenté aux Coligny, protestants notoires, a dû chercher refuge en Suisse après le massacre de la saint Barthélémy en août 1572. Genève et Bâle notamment ont connu à cette époque un afflux considérable de réfugiés français fuyant les troubles dans leur pays. Parmi eux des musiciens comme Jean Servin, originaire de Blois selon un document génevois de 1572. En 1578, il fait paraître à Lyon – c'est du moins ce qu'indique la page de titre – deux livres de Chansons Nouvelles composées pour 4 à 8 voix. Le premier de ces deux livres est dédié à Guy XIX, fils de François de Coligny, seigneur d'Andelot.
Les deux volumes sont sortis des presses de l'imprimeur lyonnais Charles Pesnot. On sait par ailleurs que Jean Servin était à Genève à l'époque de leur publication. Il n'était pas rare alors de falsifier les marques d'imprimeurs pour permettre de diffuser plus facilement certains ouvrages en France… Ce Charles Pesnot était lui-même réfugié à Genève, ville dans laquelle il a, très probablement, imprimé ou fait imprimer ces livres de Servin. Il a simplement pris soin de préciser sur la page de titre que le travail avait été réalisé à Lyon afin de contourner l'interdiction d'importer des livres en provenance de Genève et donc suspects d'hérésie.
La présence dans cette région du comte de Laval vers la même époque permet de penser qu'il a dû croiser Jean Servin et apprécier ses œuvres et peut-être l'aider financièrement à les publier, forme de mécénat qui en retour expliquerait la dédicace du musicien huguenot. Ce Premier livre de Chansons contient par ailleurs une mise en musique à 6 voix d'un sonnet – épitaphe pour Claude Goudimel, le grand musicien à qui l'on doit un très important corpus de musique protestante, assassiné à Lyon pendant les troubles de la saint Barthélémy, à la fin du mois d'août 1572. Cette rapide évocation des rapports qu'ont entretenu les comtes de Laval et leur proche entourage avec la musique tout au long du XVIe siècle montre à quel point la culture de la Renaissance a imprégné ce comté entre Maine et Bretagne. Les Laval, famille très influente et l'une des premières du royaume, comme tous les honnêtes hommes de ce temps, n'ont pas échappé à la règle e bonne éducation aristocratique telle que la définit Castiglione dans son célèbre traité Le Livre du Courtisan, traduit en Français dès 1537 :
A ce passage fait écho cet autre extrait de la préface des Meslanges de Pierre de Ronsard (1560). A la lumière de ces deux citations, on voit bien que les comtes de Laval, par leur goût marqué pour la musique, n'ont fait que se conformer à l'usage de leur temps :
Jean-Marie POIRIER |