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Le Chansonnier de Françoise, dame de Laval-Châteaubriant

©Jean-Marie Poirier, 2004

   En 1753, le British Museum recevait un fonds d’ouvrages provenant de la bibliothèque de Robert I, comte d’Oxford. Parmi les ouvrages constituant ce fonds, connu sous le nom de fonds Harley, se trouvait un petit volume manuscrit de 180 x 130 mm contenant 31 chansons. La raison de la présence de ce volume dans cette collection est totalement inexpliquée à ce jour et d’autant plus surprenante que ce chansonnier appartenait à Françoise de Foix, épouse de Jean de Laval-Montmorency, seigneur de Châteaubriant dès 1503, date du décès de son père, François de Laval, frère du comte de Laval Guy XV.

    L’attribution de ce manuscrit à Françoise de Foix ne pose aucun problème sérieux. En effet, 3 feuillets comportent des enluminures où alternent les lettres FF et un monogramme. Ces 2 lettres FF se retrouvent aux quatre angles de la pierre tombale de la dame de Châteaubriant, disparue en 1537.

    De plus, certains textes font allusions à une certaine "Françoise", ce qui vient corroborer les hypothèses précédentes. Les chansons mettent fréquemment en scène des amants en butte à la jalousie ou à la malveillance de leur entourage, ce qui correspond assez bien au contexte historique de la vie de notre héroïne.

 

F° 9v. (superius) du Manuscrit de F. de Châteaubriant.

    Née en 1495, elle fut placée très jeune dans l’entourage de la reine Anne de Bretagne, et en 1505 cette dernière la maria à Jean de Laval, neveu du comte de Laval Guy XV et personnage de premier plan dans l’Ouest du royaume. Cette union ne semble pas avoir été des plus réussies. Un unique enfant, une fille prénommée Anne, leur naquit en 1508 et mourut à l’âge de 13 ans.

    La beauté de Françoise de Foix fut très tôt remarquée par le roi François Ier et, lors de sa venue en Bretagne en 1518, il séjourna d’abord dans l’Ouest puis dans le Val de Loire pendant pratiquement six mois ; à partir de cette époque, sa relation avec la belle dame brune de Châteaubriant fut connue de tous.

Françoise de Foix

 Adieu m'amour d'Alexandre Agricola figure dans le manuscrit ; Ensemble Unicorn

   Cette passion dura jusqu’en 1527. Le roi s’éprit alors d’Anne de Pisseleu, qui était aussi blonde que Françoise était brune. Très vite, cette dernière n’eut d’autre recours que de s’en retourner à Châteaubriant, près de son légitime époux. La jalousie de ce dernier était proverbiale et le roi avait été contraint de lui confier des responsabilités importantes pour contenir sa mauvaise humeur.

    En 1532, François Ier vint assister aux États de Bretagne pour confirmer l’union du duché à la couronne. Il séjourna quelque temps à Châteaubriant et ce fut probablement la dernière occasion qu’eurent les anciens amants de se revoir. Cinq ans plus tard, le 16 octobre 1537, Françoise de Foix s’éteignait. Son époux, Jean de Laval, lui survécut jusqu’en 1543 et enfin, le 31 mars 1547, François Ier disparaissait à son tour.

    Au personnage historique de Françoise de Foix se superpose un personnage légendaire, rendu célèbre par une abondante littérature dès le XVIIe siècle. Ce qui ressort de ces affabulations, le plus souvent sans fondements historiques sérieux, c’est le caractère jaloux, ombrageux et brutal de l’époux, Jean de Laval-Châteaubriant. Une légende a même été jusqu’à en faire le meurtrier de son épouse infidèle...

    Le répertoire illustré par les textes des chansons qui composent ce recueil est tout à fait conforme à l’esthétique du début de la Renaissance. Le manuscrit comporte 31 chansons, dont 29 à 3 voix, 1 à 2 voix et 1 à 1 voix ; sur ces 31 pièces, 3 sont incomplètes. Bien qu’une seule chanson indique comme auteur Antoine de Févin, compositeur favori du roi Louis XII, une étude des concordances avec d’autres recueils de la même époque permet de lui attribuer 6 autres pièces.

     Les autres compositeurs identifiables, Pierre de La Rue et Alexandre Agricola appartiennent également à cette époque charnière entre le XVe et le XVIe siècle. En France, Louis XII et Anne de Bretagne puis François Ier, marquent cette période de leur empreinte ; ailleurs, Henry VIII, Maximilien d’Autriche puis Charles Quint , tous grands amateurs de musique, sont les grands rivaux qui se disputent le devant de la scène politique européenne.

Recercare, Francesco Spinacino, Venise, 1507 ; Christopher Wilson, luth.

    Deux grands types de compositions, traditionnels pour l’époque, sont illustrés dans notre manuscrit : d’une part la chanson savante qui utilise des textes poétiques obéissant aux critères de la versification académique en usage et qui figurent bien souvent dans les anthologies littéraires à la mode.

D’autre part la chanson rurale ou rustique. C’est ainsi que l’on qualifie les formes poétiques irrégulières, reflet bien souvent d’une influence populaire, d’où le nom qui leur est donné. Chansons à danser, à boire ou drolatiques, ces pièces figurent en bonne place dans le chansonnier de Françoise de Foix.

    Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre genre, les textes font souvent allusion à des thèmes qui nous renvoient à la dame de Châteaubriant : la jalousie du mari trompé, sa brutalité, la séparation forcée des amants, les regrets d’une union sans joie etc., autant de thèmes dont les connotations biographiques sont évidentes aujourd’hui.

    Il y a un peu plus de cinq cents ans naissait Françoise, fille de Jean de Foix et de Jeanne d’Aydie. Ce chansonnier qui nous est parvenu est le seul vestige tangible qui nous reste de ce personnage qui choisit de vivre sa passion amoureuse, au risque d’y perdre sa respectabilité et même sa vie. Son aventure nous apparaît aujourd’hui comme le refus de l’arbitraire, à une époque où le destin d’une femme était scellé par son entourage dès l’âge de 10 ans ou même avant...

    Ce superbe chansonnier peut alors nous apparaître comme l’expression sublimée et parfois un peu ironique de cette révolte, forme d’insoumission à un ordre social dont l’absurdité de certains aspects ne peut laisser insensible. En celà, et par delà sa valeur musicale intrinsèque, le Chansonnier de Françoise reste parfaitement d’actualité.

Jean-MariePOIRIER.

 

 

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 Hellas j'en suis marri chanson d'Antoine de Févin extraite du Chansonnier de Françoise de Foix, au format .pdf

et à la page Partitions, la chanson anonyme Petite fleur coincte et jolie

 

Signature de Françoise de Foix au bas d'une lettre à François Ier

 

Epitaphe de Françoise de Foix par Clément Marot, 1538.


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