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Pontus de Tyard
Livre de Vers Liriques, 1573

CHANT A SON LEUT

CHANTE, mon Leut, non la mortelle plainte
Dont justement, las, je me passionne :
Mais la beauté dont ma Déesse est peinte
Chante, et de toy rien qu'elle ne resonne,
Y employant la mieux parlante corde
Que touche Albert, ou que Saingelais sonne.
Laisse le son, que l'inique discorde
Te feit chanter pleingnant ma peine dure,
Et à ma voix un plus doux chant accorde.
Chante cest or filé par la Nature
Pour enrichir de blonds cheveux la teste :
Qui pallit l'or de sa riche coiffure.
Chante ce front, ce Ciel, ce siège honneste,
Où la Vertu en majesté repose,
Et de l'aimer me poind et admonneste.
Chante le teint de celle blanche rosé,
Qui la beauté de toute fleur efface
Au plus beau jour du plus beau Mois desclose.
Chante ces arcs, souz lesquels Amour passe
Quand sa douceur benine, ou rigueur fiere,
De vie ou mort m'asseure, ou me menace.
Chante la grave et modeste manière
De ces beaux yeux, que le Soleil honore,
Comme allumant son feu en leur lumière.
Chante ce pourpre, et ce lait, qui colore
Vermeillement et l'une et l'autre joue
Faisant de soy envieuse L'Aurore.
Chante ce nez dilicat : mon Leut, loue
Les deux Rubis, et les Perles pareilles,
Que l'Orient en sa richesse avoue.
Chante ces deux impollues oreilles
Closes au mal, et non jamais fermées
Aux saints propos des célestes merveilles.
Chante ces cent et cent grâces semées
Parmi ce ris, ris chastement folastre :
Qui tient en moy cent torches allumées.
Chante ce col, la colonne d'albastre,
Soutènement du chef de mon Idole,
Qui me rend tout vainement idolastre.
Chante le droit, chante le gauche Pole :
Chante le pur de la voye lactée,
D'où le penser seulement me console.
Chante la main doctement usitée
A te sonner : admirable à escrire
L'invention du rare esprit dictée.
Ne chante point ce que je n'ose dire :
Tout ce parfait, que l'honnesteté celé,
Que craintif j'aime, et sans espoir désire.
Mais chante moy celle essence immortelle,
Qui, pour tenter du Ciel nouvelle trace,
Son aesle empenne, et son vol renouvelle.
Chante combien celle divine grâce
Gaigne sur moy, et scet vivement peindre
L'amour au coeur et le deuil en la face.
Si tu ne peux à la louange atteindre,
Que la beauté mérite de ma dame,
Vueilles au moins si doucement te pleindre
Qu'elle ait pitié — triste Leut — de ma flame.

 

 

Monsieur de Vintimille [...] séjournant à Milan [...] fut appellé [...] à un festin somptueux et magnifique, fait en faveur d'une plus illustre compagnie de la cité, et en maison de mesme estofe où, entre autres plaisirs de rares choses assemblées pour le contentement des personnes choisies, se rencontra Francesco dy Milan, homme que l'on tient avoir ateint le but (s'il se peut) de la perfection à bien toucher un Lut. Les tables levées il en prent un, et comme pour tater les accors, se met près d'un bout de la table à frechercher une fantaisie. Il n'eust esmeu l'air de trois pinçades qu'il romt les discours commancez entre les uns et les autrs fetiés,et, les ayant contraint tourner visage la part où il estoit, continue avec si ravissante industrie que peu à peu, faisant par une sienne divine façon de toucher mourir les cordes souz ses dois, il transporte tous ceux qui l'escoutoient en une si gracieuse melancolie que l'un, appuyyant sa teste en la main soustenue du coude ; l'autre, estendu laschement en une incurieuse contenance de ses membres qui, d'une bouche entr'ouverte et des yeux plus qu'à demy desclos, se cloüant (eust-on jugé) aux cordes, et qui d'un menton tombé sur la poitrine, desguisant son visage de la plus triste tacurtinité qu'on vit onques, demeuroient privez de tout sentiment, ormis de l'ouye, comme si l'ame, ayant abandonné tous les sièges sensitifs, se fust retirée au bord des oreilles pour jouir plus à son aise de si ravissante symphonie.

Recercar 51, Francesco da Milano ; Paul O'Dette, luth

 


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